La lutte contre le varroa avec le pseudoscorpion est-elle vraiment efficace ?
Le pseudoscorpion au sein d’une colonie d’abeilles permet-il véritablement la régulation efficace du varroa, jusqu’à supprimer tout traitement ? Les traitements ont-ils fait disparaître les pseudoscorpions de nos ruches ?
Le pseudoscorpion a fait le buzz sur internet, depuis qu’une vidéo postée (ainsi que d’autres) a montré un pseudoscorpion en train de se saisir puis de déguster un varroa.
Le pseudoscorpion fût alors rapidement présenté comme la nouvelle solution naturelle et écologique pour lutter contre les varroas destructeurs de nos colonies. Les apiculteurs étaient accusés dans la foulée, d’avoir fait disparaître les colonies de pseudoscorpions dans les ruches avec les traitements anti-varroas, y compris les traitements biologiques et l’utilisation des ruches « modernes ».
On a vu apparaître rapidement une association et un livre sur une méthode pour élever des pseudoscorpions afin de les réintroduire dans les ruches et de lutter efficacement et naturellement contre la population de varroas. On envisageait même de nous vendre des pseudoscorpions vivants afin de lutter contre les varroas présents dans nos ruches. Bien sûr, l’information fût vite reprise et diffusée abondamment dans les milieux écolo-bobos.
Mon approche de l’apiculture :
Je suis apiculteur, adepte des méthodes naturelles, mais aussi un apiculteur responsable, soucieux du bien-être et de la santé de mes abeilles. Je n’accepte pas de voir souffrir mes colonies et de les voir lutter pour leur survie contre un parasite importé par l’Homme, et je n’envisage pas un instant de perdre une colonie, sinon de façon naturelle. Mais j’ai aussi un petit bagage scientifique et je suis curieux, sans a priori, avec un esprit bien cartésien…
Toujours à l’affut de publications scientifiques et d’articles de vulgarisation ou de synthèse, je suis tombé sur cet article à propos du pseudoscorpion du Cari belge (l’équivalent de notre Inra en France ou d’Agroscope en Suisse). Un article qui m’intéressait d’autant plus que j’étudie les relations entre une colonie d’abeilles et les plantes ou animaux profitant de sa présence.
Je vais essayer de vous présenter le fruit de mes observations de façon objective et documentée.
Mes observations :
Lors d’un stage en apiculture naturelle, mes stagiaires et moi eûmes la surprise d’observer, lors de l’ouverture d’une ruche, un pseudoscorpion au milieu des abeilles, se baladant un court instant sur le dessus des barrettes avant de replonger au milieu de la colonie. Malheureusement, aucun de mes stagiaires ne réussit à prendre une photo. Mais j’ai immédiatement eu l’idée de mettre cette colonie sous surveillance quant à l’infestation par le varroa. Dans le même ordre d’idée, je me suis mis à observer mes colonies plus attentivement dans l’espoir d’en observer d’autres et d’analyser son impact réel sur les colonies. J’ai désormais un peu plus de recul, de données et j’ai réussi à observer cet insecte.
Critique objective :
La ruche doit comporter des fissures et des crevasses pour que les pseudoscorpions puissent s’y loger, y survivre et s’y multiplier.
Vrai et Faux, information non vérifiée. J’ai des pseudoscorpions dans mes ruches Warré, construites par mes soins, en bois brut de rabotage, mais aussi dans des ruches Dadant 10c en bois raboté, poncé(?). Les seuls points communs entre ces ruches sont :
- l’absence totale de traitement du bois à intérieur.
- mes supports de ruches sont constitués de parpaings (justement pour favoriser les interactions avec le milieu extérieur).
Aucun produit de traitement chimique acaricide ne peut être appliqué. Les acides formiques et oxaliques ne sont pas non plus sans danger.
Vrai et faux. Je traite mes ruches avec des substances uniquement autorisées en bio à base d’acide formique et d’acide oxalique. Mes observations :
- Lors des traitements de fin d’été – début d’automne et hivernaux, je n’ai jamais observé la moindre mortalité de pseudoscorpion sur les ruches ayant montré leur présence.
- Aucune étude scientifique -j’ai cherché- ne donne la dl50 pour les différents acides concernant les pseudoscorpions. Comme toute substance, une sur-exposition est létale à coup sûr (y compris pour les abeilles) et une sous-exposition est totalement inefficace (y compris pour les varroas)
Environ 150 individus sont nécessaires pour réussir la symbiose mais, à l’exception des ruches placées dans des milieux favorables (milieux forestiers), il faudrait passer par la réintroduction artificielle de pseudoscorpions dans des ruches conçues pour leur permettre de vivre, ce qui n’est pas une mince affaire.
Faux. Mes observations :
- aucune de mes ruches n’est placée en milieu forestier ou n’est particulièrement conçue pour abriter des pseudoscorpions. Mais ils sont bien présents au sein des colonies de façon naturelle.
- Pourquoi veut-on à tout prix réintroduire artificiellement un insecte qui peut coloniser naturellement les ruches ? Volonté de nous vendre quelque chose ?
- d’où vient le chiffre de 150 individus ? des expérimentations en cours ? d’études portant sur un pseudoscorpion asiatique vivant au sein des colonies d’Apis cerana ?
Controverse :
J’ai beau analysé toutes ces études, aucune ne me convainc, même les plus récentes ont un protocole qui est critiquable. Au mieux, cette dernière étude montre peut-être une influence du pseudoscorpion sur la population de varroa. Mais comme tout apiculteur, vous savez également que le choix du matériau influence le développement du couvain et par conséquent la population de varroas. Pourquoi diable ne pas avoir utilisé le même type de ruche sur le même lieu, avec une moitié du cheptel ayant reçu les pseudoscorpions et une autre moitié n’en ayant pas reçu, puis un comptage journalier des chutes naturelles de varroa est effectué en aveugle afin d’obtenir des données objectives ?
L’étude ne montre pas non plus si la population de pseudoscorpions introduite dans les ruches s’est maintenue, s’est développée ou a régressé. Bref il manque un minimum de rigueur scientifique dans le choix du protocole et le mal du siècle depuis quelque temps dans le monde scientifique : un manque de rigueur et d’objectivité, les résultats ayant tendance à se diriger dans le sens que l’on souhaite … Vous remarquerez au passage, dans cette étude, que l’influence supposée du pseudoscorpion sur la population de varroas est plutôt limitée, en tout cas insuffisante pour envisager toute absence de traitement.
Mes chiffres :
Voici maintenant quelques données sur mes comptages journaliers de varroas concernant des ruches dans lesquelles la présence de pseudoscorpions est avérée et d’autres où je ne les ai jamais observés (ce qui ne signifie pas qu’ils sont absents). Pour que cela reste clair et objectif, j’ai isolé 2 ruches où le pseudoscorpion a pu être observé, 2 types d’abeilles (noires et hybrides), 2 ruches voisines de celles où le pseudoscorpion a été observé et une ruche à l’écart des 4 autres, le tout dans le même rucher, colonies de force équivalente, non situées dans un milieu forestier, prairie naturelle et verger non traité bien sûr.
- type de ruche : Warré, abeilles noires relativement pures, présence de pseudoscorpions . Ruche traitée, premier traitement en fin d’été, puis traitement hivernal.
- type de ruche : Warré (voisine de la 1), abeilles hybrides, pas de pseudoscorpions observés. Ruche traitée, premier traitement en fin d’été, puis traitement hivernal.
- type de ruche : Warré (non voisine d’une ruche où le pseudoscorpion a pu être observé), abeilles noires relativement pures, pas de pseudoscorpions observés. Ruche traitée, premier traitement en fin d’été, puis traitement hivernal.
- type de ruche : Dadant 10c, abeilles hybrides, présence de pseudoscorpions observée. Ruche traitée, premier traitement en fin d’été, puis traitement hivernal.
- type de ruche : Warré (voisine de la 4), abeilles hybrides, pas de pseudoscorpions observée. Ruche traitée, premier traitement en fin d’été, puis traitement hivernal.
Suite au traitement de fin d’été, le nombre total de varroas était :
- 1306 varroas
- 1586 varroas
- 971 varroas
- 2858 varroas
- 3147 varroas
La seule conclusion objective que l’on peut faire c’est :
- il semble y avoir une population moindre de varroas dans les ruches contenant du pseudoscorpion que dans celle de leur voisine.
- Assez logiquement, on constate que les noires sont moins infestées que les hybrides, simplement parce qu’elles élèvent moins de couvain.
- Dans tous les cas, l’infestation par varroa nécessitait un traitement sinon les colonies étaient en danger.
Pendant la période de latence, période qui correspond à la fin de l’influence du traitement, la fin des naissances des abeilles d’hiver puis de la courte période hors couvain qui précède le traitement hivernal, le nombre total de varroas était :
- 57 varroas
- 190 varroas
- 35 varroas
- 230 varroas
- 252 varroas
On retrouve un nombre légèrement moins important de varroas dans les ruches où les pseudoscorpions ont été observés.
Suite au traitement hivernal, le nombre total de varroas était :
- 16 varroas
- 102 varroas
- 25 varroas
- 301 varroas
- 22 varroas
La ruche 4 était manifestement encore très infestée ou s’est réinfestée alors que les pseudoscorpions l’occupent. L’autre ruche occupée également par les pseudoscorpions semble moins infestée que sa voisine.
Suite des comptages, cette fois on se situe dans la période post-traitement hivernal, reprise de ponte. Le comptage sert à connaitre le nombre de varroas résiduels pour déterminer le taux d’infestation et à décider des futures mesures à prendre. Le nombre de varroas était :
- 1 varroa – 0,07 varroa/jour
- 2 varroas – 0,13 varroa/jour
- 0 varroa – 0 varroa/jour
- 17 varroas – 1,13 varroa/jour
- 3 varroas – 0,2 varroa/jour
On constate un taux d’infestation plus élevé sur la ruche 4 occupée par les pseudoscorpions en raison de la fin d’influence du traitement et d’une légère infestation. Les comptages suivants donneront des chiffres du même ordre que les autres ruches type 0,x varroa/jour indiquant que la colonie est saine.
Les traitements, notamment ceux à base d’acide oxalique sublimé, empêchent-ils les pseudoscorpions d’occuper la ruche ? Objectivement non, l’ensemble des photos d’illustration de cet article ont été réalisées ce printemps 2019, alors que les conditions de prise de vue étaient optimales grâce à l’ensoleillement et l’absence de vent, rendant les pseudoscorpions faciles à observer et très coopératifs…
Que disent mes chiffres objectivement ? Qu’il semble y avoir moins de varroas dans les ruches dans lesquelles le pseudoscorpion peut être observé. Mais globalement les ruches sont trop infestées par varroa et nécessitent un traitement. J’ignore le nombre total de pseudoscorpions au sein de mes colonies. Je peux juste vous dire qu’ils sont suffisamment nombreux pour que je puisse en observer plusieurs simultanément sur les planchers. Nous sommes trop tôt en saison ici pour envisager d’ouvrir et inspecter la moindre ruche.
Point de vue scientifique :
Que sait-on vraiment de la relation pseudoscorpion/colonie d’abeilles mellifères d’Europe de l’Ouest – vous remarquerez que je ne parle pas de relation symbiotique, ce qui a un sens très précis en biologie, pour l’instant on ne peut envisager qu’une relation d’opportunisme – scientifiquement parlant ?
Il est démontré grâce à des analyses biomoléculaires – technique de Réaction de Polymérisation en Chaîne ou PCR- que le pseudoscorpion peut se nourrir de varroa. Le pseudoscorpion n’a pas de queue comme le scorpion pour injecter du venin. Il injecte une substance avec ses pinces pour liquéfier l’intérieur de la proie qu’il absorbera ensuite. (source : Ingestion of Varroa destructor by pseudoscorpions in honey bee hives confirmed by PCR analysis. Journal of Apicultural Research en 2016)
Il est démontré que le pseudoscorpion est inoffensif pour l’abeille, son couvain et ses réserves. C’est aussi un allier efficace contre les larves de fausse teigne.
Aucune étude ne démontre que sa présence massive au sein d’une colonie d’abeilles permet à elle seule de réguler la population de varroas et d’envisager l’absence de traitement contre la varrose.
Et c’est à peu près tout… Toutes les autres études partent du postulat que nos ruches actuelles, quel que soit le format, sont inadaptées à la colonisation par le pseudoscorpion ou que les pratiques apicoles modernes, dont les traitements bio ou non, contribuent à l’absence du pseudoscorpion dans les ruches sans qu’aucune étude n’ait cherché à détecter et à quantifier la population de pseudoscorpion dans les ruches actuelles.
Conclusion :
Tout le monde en parle mais peu nous en montre dans les ruches. Pour ma part, je continue de favoriser et d’observer l’échange de mes colonies avec le milieu extérieur, mais je garde aussi à l’esprit qu’il est peut probable que le pseudoscorpion puisse être la solution ultime de la lutte anti-varroa et j’ai plaisir à l’observer et à jouer avec lui en lui offrant un varroa comme sur ces photos.
Il est probable que l’on cherche avant tout à nous vendre une solution de plus. Le marché de la lutte anti-varroa représente des milliards d’euros dans le monde. La tentation est forte de présenter le pseudoscorpion comme arme absolue contre le varroa.
Alors et vous ? combien de pseudoscorpions possédez-vous dans vos ruches ?
J’adore votre publication. Enfin des observations dans les colonies. Ce que je vais tester cette saison ci est un espace sous la colonie où une litière « vivante » offre le gîte aux Pseudoscorpions pour y effectuer les diverses étapes de leur cycle de développement.
Bonjour, merci pour les références mais j’invite à lire l’article en anglais, la plus récente publication, méthodologie que je trouve beaucoup plus rigoureuse que celle exposée dans votre article. La questions des différents matériaux ne remet pas en cause les résultats, vous pouvez vous concentrer sur les résultats des ruches bois avec et sans pseudoscorpion. Chaqu’un des 13 sites comportait les 3 configurations de ruche: »it was decided to place three hives on each of 13 locations », avec donc un total de 39 ruches. De plus l’expérience s’étale sur toute une saison apicole semaine par semaine, bien plus fine que la votre. Toutefois, merci pour votre article qui a le mérite de diffuser ces études.
le cari n’est absolument pas comparable à l’inra ou l’agroscope, c’est un centre d’analyse de miel, rien de scientifique.
quelles doses d’acide formique pouvez-vous recommender pour le traîtement de colonies en ruches troncs et Warré sans affecter les pseudoscorpions?